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Writer's pictureAdrien Sabathier

Ethnographe ?


Quelque part dans le Dakota du Nord à bord de l'Empire Builder, train qui relie Chicago à Seattle. Je discute avec des passagers pro-Trump pendant des heures. Sans le savoir, je réalise alors mes premiers entretiens exploratoires, première tentative de compréhension de l'univers de sens de l'autre.


Les études ne sont pas un chemin linéaire qui mène vers une destination certaine. C’est une promenade de l’esprit qui s’occupe à comprendre le monde et à trouver quel regard nous correspond le mieux. Je suis entré par la porte de la science politique, qui tente de donner du sens à ce qui nous entoure en démêlant les relations de pouvoir qui structurent les sociétés. Je me suis intéressé à la sociologie, qui étudie le fonctionnement des sociétés humaines de manière systématique et à un niveau plus granulaire. Mais ces deux approches, bien qu’intéressantes, m’ont toujours frustrées. Elles m’ont permis d'affiner mon regard, de voir les trames qui sous-tendent le monde, mais elles ne se concentraient jamais sur ce qui m’occupait le plus l’esprit : la question de l’identité et le rapport que celle-ci à au territoire dans lequel elle se situe. La ville, le pays, le sentiment d’appartenance, la spécificité d’un terroir, en bref, la conscience collective qui fait d’un lieu un lieu et non pas un simple endroit.


La réalisation de cette frustration est venue en deux étapes.

D’abord, c’est par une autre manière d’appréhender le monde que j’ai commencé à questionner mes approches scientifiques. En parallèle à mes études, j’ai découvert le monde de manière déstructurée et informelle grâce aux voyages et à l'expatriation. Les voyages ont toujours nourri mes travaux comme un cercle vertueux, tantôt faisant naître des questions, tantôt y répondant. L’expatriation, aux États-Unis, puis en Suisse, est en fait une prolongation du voyage assez cohérente, qui consiste à ne pas revenir et à mieux prendre le pouls de l’endroit qui deviendra lieu, puis berceau d’adoption Mais une constante se dessine de manière de plus en plus claire: ce qui m’intéresse dans l’ailleurs c’est la découverte d’une autre culture, des habitudes et de la vie quotidienne. Cet intérêt s’exprime par une volonté de me fondre dans l’altérité, de devenir l’autre, pour mieux le comprendre. Cela se traduit par exemple par l’adoption de l’accent local, texan ou roman. Devenir le caméléon parfait du nouvel environnement vire à l’obsession.

La seconde révélation est venue de la littérature des méthodes qualitatives et de l'ethnographie. Les lectures de William Whyte dans son introduction à Street Corner Society ou de Interpretation and Method édité par Dvora Yanow et Peregrine Schwartz-Shea m’ont montré que mon mode de vie était une méthode de recherche. L’immersion, l’observation participante et l’entretien sont des éléments empiriques qui nourrissent et permettent la réflexion. Jusqu’alors, je tentais maladroitement de faire rentrer des morceaux de réalité dans des cadres théoriques. Il me semble plus adapté de m’attacher à trouver les mots pour théoriser la réalité qui m’entoure et que j’observe avec précision.


C’est une évidence presque trop évidente que de réaliser cela. Oser comprendre que mon envie de devenir l’autre n’était pas qu’un appétit personnel mais également le fil conducteur d’observations dignes de travaux scientifiques. C’est sans renier le bagage du politologue que je continue donc sur les chemins du savoir en chaussant avec plaisir et entrain les chaussures de l’ethnographe.

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